Plongée dans la réalité des fusions acquisitions : Une conversation avec Sandra Chapart, avocate en droit social et ancienne DRH

Lorsqu’on évoque les fusions acquisitions, l’image qui vient à l’esprit est souvent celle de transactions brillamment orchestrées et des manœuvres stratégiques conçues notamment pour renforcer la position d’une société sur son secteur d’activité ou pour se développer sur un nouveau marché. Mais que se passe-t-il après que l’encre a séché sur les contrats, une fois les premières célébrations passées ? Que deviennent les promesses de synergies et de croissance ? Pour comprendre ce qui se joue en interne, Sandra Chapart, avocate en droit social et ancienne DRH nous offre un aperçu sans fard des coulisses de ces opérations de fusions-acquisitions, mettant en lumière, au travers de cinq cas, les conséquences fréquemment négligées d’une intégration insuffisamment préparée. 

Cas 1 : L'acquisition d'une entité à forte identité de marque - L'effacement d'une âme

Imaginez une marque iconique, reconnue mondialement pour son identité unique, absorbée par un géant du marché. L’acquisition semblait prometteuse, mais l’histoire a pris un tout autre tournant. « Ils sont entrés dans un moule, celui du groupe, qui ne correspondait pas à leur ADN », confie l’ancienne DRH. L’intégration, au lieu d’être un tremplin, a eu pour effet de gommer les aspérités qui faisaient la force de la marque, « les managers de premier plan, ceux qui impulsaient la stratégie, sont tous partis. Et pas dans les deux ans, non. Dans les six premiers mois ! », souligne-t-elle. Trois ans plus tard, l’entreprise avait retrouvé sa rentabilité, mais elle n’était plus que l’ombre d’elle-même. « C’était une marque qui faisait rêver. Elle est devenue une entité comme les autres au sein d’un grand groupe », constate Sandra. 

Cette transformation illustre l’importance d’intégrer la dimension culturelle et l’ADN des entités, lors de ce type d’opération, et ce, pour éviter qu’elles ne perdent la valeur qui avait pourtant justifié le rapprochement.

Cas 2 : L'intégration d'une entreprise digitale - Le choc des cultures

Le mariage entre une entreprise digitale innovante et un groupe aux méthodes traditionnelles constituait une innovation majeure à l’époque. Mais dès son arrivée, un an après l’acquisition, Sandra s’est retrouvée confrontée à une réalité bien différente. « Passé le mariage avec ce grand groupe, les refus d’obstacle de la part des dirigeants fondateurs étaient nombreux, ces derniers considérant qu’ils perdaient leur agilité et leur identité sur un marché en perpétuelle mutation », se souvient-elle. Elle nous partage également « Je me suis retrouvée avec un bond gigantesque à effectuer, sur un temps très court, en matière de process et de professionnalisation des fonctions RH et juridique. Un gros travail de compliance nous attendait »

Le fossé entre les deux cultures était évident, notamment lors des réunions de direction. 

Ce choc des cultures a freiné les synergies espérées, et il a fallu un peu d’insistance, beaucoup de pédagogie et parfois même quelques “bras de fer” pour que l’intégration commence à porter ses fruits.

Les fusions-acquisitions ne s’arrêtent pas à l’opération en elle-même. Il s’agit d’une course de fond, et il est important de bien organiser l’intégration pour en faire un succès.

Cas 3 : L'intégration de la performance marketing - L'exception qui confirme la règle

Dans ce paysage d’intégrations difficiles, l’acquisition de cette entité spécialisée en performance marketing s’est révélée être un succès inattendu. Contrairement aux autres cas, les collaborateurs de la société absorbée ont accueilli favorablement l’intégration dans une société à dimension internationale. « Il n’y avait pas d’opposition majeure. Au contraire, ils étaient contents d’avoir des avantages collectifs, des règles communes, de l’aide de fonctions supports et d’être intégrés à une société de renommée mondiale », déclare Sandra. Un facteur clé de ce succès fût la nomination d’un dirigeant issu du groupe acquéreur à la tête de l’entité. « Il était le conseiller du PDG, une personne reconnue pour sa vision et ses compétences de stratège hors norme. Venant de la direction du Groupe, il a su vendre aux équipes opérationnelles le sens de ce rapprochement«  note-t-elle. 

Ce cas illustre que, avec une vision faisant la part belle aux synergies et une communication claire, une intégration peut non seulement réussir, mais également renforcer les entités concernées.

 

Cas 4 : Le mariage forcé de deux entités concurrentes - Une union difficile

Dans un contexte très différent, Sandra a travaillé au « mariage forcé » entre deux organisations concurrentes. « Les deux ne voulaient pas se marier », raconte-t-elle. Malgré les interventions de consultants en organisation, le processus s’est rapidement transformé en lutte de pouvoir entre les comités de direction, où la question centrale n’était pas « comment allions-nous travailler ensemble ? » ou  « quelle valeur ajoutée allons-nous offrir à nos clients » mais plutôt « qui aura quelle chaise ?« . 

Cette situation a conduit à une réduction progressive des effectifs de management, révélant une fois de plus les dangers d’une fusion opérée à marche forcée, sans vision commune et sans réelle volonté de collaboration des parties concernées. 

Cas 5 : La due diligence : L'angle mort de la culture

En tant qu’avocate, Sandra a participé à de nombreuses dues diligences. Depuis sa place d’experte, de conseil, elle a pu observer les lacunes dans l’évaluation des aspects culturels et managériaux lors des opérations de fusions-acquisitions. Or, l’analyse de ces aspects peut parfois éviter des échecs coûteux.  

Dans le cas d’un grand groupe industriel français du secteur de l’énergie, lors de la due diligence, Sandra a identifié des risques majeurs liés à un dialogue social déficient et à une culture du management peu performante. « Des CSE qui ne se tenaient pas, des ordres du jour parcellaires, des obligations vis-à-vis des partenaires sociaux et des salariés non respectées, une information qui n’était pas assez transparente… c’était une bombe à retardement sociale, » explique-t-elle. Des problèmes de compliance et un dialogue social défaillant sont autant d’éléments qui traduisaient un état d’esprit du management qu’il convient de bien cerner avant l’acquisition. Dans ce cas, l’opération d’acquisition s’est arrêtée à l’étape de due diligence. 

L'humain au cœur de l'équation

Ces histoires nous enseignent que le succès d’une fusion-acquisition ne se mesure pas uniquement en termes financiers ou juridiques. L’aspect humain – la culture, les pratiques managériales, le dialogue social – est tout aussi crucial.

L’avocate ancienne DRH insiste : « une acquisition, c’est un mariage de visions, de cultures, de capital humain et de process. Ignorer l’un de ces aspects, c’est se condamner à l’échec. Les process internes en disent long sur la culture, l’agilité, le mode de production d’un service ou d’un bien. Effectuer une acquisition, c’est influer très directement sur l’histoire et sur la culture d’une organisation ».

Pour les entreprises envisageant une acquisition, le message est clair : “intégrez l’analyse culturelle et managériale le plus en amont possible et dès la phase de due diligence !” Et pour celles qui sont déjà en phase d’intégration, rappelez-vous que la préservation de ce qui rend unique chaque entité est aussi importante que la recherche de synergies.

Les fusions acquisitions continueront d’être un outil stratégique majeur pour les entreprises. Mais leur succès dépendra de notre capacité à voir au-delà des chiffres et à vraiment comprendre et valoriser le capital humain en jeu. Comme le résume avec réalisme Sandra : « le capital, c’est l’Humain. Ce sont les collaborateurs, d’où ils viennent, sur quoi ils ont travaillé, comment ils travaillent… Tout cela fait partie de la culture ressentie au sein des entreprises, outil d’attraction et de fidélisation des talents”.

Qui est Sandra Chapart ?

Sandra intervient en droit du travail et conseille régulièrement des startups, PME/ETI et groupes internationaux, cotés et non cotés, dans le cadre de fusions et acquisitions, outsourcing, réorganisations et transferts internationaux de salariés, dans différents secteurs d’activité, notamment : l’énergie, environnement, le marketing digital, l’immobilier, l’enseignement supérieur privé, le service à la personne, et le conseil.

Elle assiste également les dirigeants dans leurs problématiques quotidiennes, incluant la gestion des relations collectives, la rédaction d’accords collectifs et la négociation avec les partenaires sociaux, les relations individuelles de travail, les plans de rémunération, la mobilité internationale, les politiques de conformité et les codes de conduite, les relations avec les autorités et administrations locales ainsi que les sujets relatifs à l’hygiène et la sécurité au travail.

Sandra a acquis une expertise particulière en accompagnement et défense des cadres dirigeants et mandataires sociaux.

Au cours de sa carrière, Sandra a exercé 15 ans au sein de groupes français et internationaux en qualité de Directrice Ressources Humaines et Directrice des Relations Sociales. À ce titre, elle a participé à de nombreuses opérations de fusions acquisitions, cessions, réorganisations, structuration de la fonction ressources humaines dans des contextes à forts enjeux sociaux et de changements de business model. Ces expériences permettent à Sandra d’offrir à ses clients un accompagnement stratégique et pragmatique, tenant compte des nombreux facteurs pouvant influencer la prise de décision au sein d’une entreprise.

Sandra a exercé au sein du cabinet DS Avocats puis chez Earth Avocats en qualité d’associée, avant de rejoindre Squair en 2023. 

 

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